« Je
passe ma journée à essayer de scotcher les individus devant la
télévision et le soir je passe mon temps à essayer d'y
de-scotcher mes enfants. Je fais un véritable métier de
schizophrène ..»
Nicolas
de Tavernost, PDG
de M6 / Entretien à Paris-Match le 22 février 2007.
«
Bon sang, il est encore presque minuit ! »
Même si
je sais que l'heure indiquée peut être tardive voire beaucoup plus
matinale, combien de fois n'avons-nous pas été surpris de constater
que les quelques instants passés à traverser telle contrée
mystique, à combattre les malheureux adversaires qui se présentaient
en face de nous, à vouloir avec opiniâtreté terminer ce niveau qui
nous cassait les pieds depuis au moins cinq heures furent en réalité
d'énormes intervalles de temps ?
Et
qu'avons-nous réalisé durant cet intervalle de temps ? Très
simple : Rien.
Ô cher
lecteur, sois rassuré par le fait que, moi aussi, il m'est arrivé
de pêcher par le biais de cette fâcheuse influence que possède le
démon informatique sur les mortels que nous sommes. J'ai vécu
l'illusion de bon nombre de ces mondes virtuels qui nous emmènent
dans les tourbillons de leurs néfastes chimères, glissant avec
cette molle résistance dans les recoins de mondes simplificateurs et
bienveillants de par leurs innombrables résurrections.
Pire :
Il m'arrive encore d'être attiré vers ces écrans, aspirateurs de
nos esprits. Je n'ai donc, par conséquence, nulle prétention
pouvant potentiellement guider le joueur hors de ce carcan
intellectuel où se perdent les résidus de nos intelligences
ravagées, nulle intention de me présenter en tant que prophète
menant les brebis égarées vers les sûrs chemins de la réalité,
nul propos moralisateur qui se poindrait en tant que socle de mes
pauvres certitudes.
Derrière
cette attitude, une sensation me taraude pourtant : Comment
pouvons-nous demeurer immobile aussi longtemps derrière une lumière
aux multiples couleurs qui bouge et des sons qui varient ?
Comment se modifie cette notion du temps qui transforme les heures en
minutes ? Pourquoi restons-nous durant ces trop longs moments à
réaliser physiologiquement les mêmes gestes, parfois en toute
conscience ?
A ce
stade, un peu d'honnêteté s'impose. Je n'aborderai pas des domaines
où mes connaissances sont au maximum lamentables. Ainsi, cette
notion de plaisir que j'ai parfois lu sur le net sera pour moi tout à
fait étrangère à mes propos. En effet, resterait-on en face d'un
jeu vidéo si, quelque part, on ne l'appréciait pas ? Humble
remarque de l'ignorant qui s'avoue. Non, si je devais établir une
base de quelque chose dans ce qui agglutine l'individu derrière un
jeu, au delà des recherches conceptuelles qui amplifie ce phénomène
bien humain, je parlerai plutôt d'un mélange de curiosité et de
vanité dans le cadre d'une détente. De cette curiosité qui nous
pousse à savoir ce qu'il va se produire après, de cette vanité qui
nous tire à être le meilleur de l'univers et de cette détente qui
nous amène à parfois fonctionner à minima.
En
effet, tout le monde peut en effet avoir ses journées difficiles.
Mais
alors, on peut s'interroger sur notre comportement. Qu'est-ce qui
nous pousse à demeurer encore et encore sur un jeu, à réaliser
continûment les mêmes manipulations de clavier, de souris ou de
joystick ? Je gomme avec ma mauvaise foi coutumière l'ensemble
des techniques pouvant exister et dont la fonction serait de coller
l'individu sur son siège pour me concentrer – terme prétentieux
dans ce contexte – sur ce fondamental qui attire une personne vers
l'activité ludique. Car le jeu vidéo ne possède comme
différentiation face aux autres types de jeu que le nombre croissant
d'informations parvenant au joueur. Ce dernier découvrant au début
un monde avec ses caractéristiques plus ou moins neuves, s'y
accoutumant pour finalement l'abandonner lorsqu'il estime en avoir
fait le tour : Curiosité, estime et ennui. Tout cela pour
recommencer au jeu suivant qui, au delà de la forme, est strictement
identique au précédent. Un produit dont on cherche à prolonger ce
cycle de fonctionnement par des extensions successives, des mises à
jour que l'on souhaite novatrices et dont l'aboutissement est de
provoquer, avec ce temps qui passe et qui fait entrer dans un passé
relatif un jeu initial perpétuellement modifié selon les mêmes
rouages, la nostalgie de ces diaboliques logiciels sur lesquels nous
nous sommes tant investis. La modernité comme la compétence de la
communauté prolonge cette durée de vie par l'intermédiaire de
modifications confinant parfois au génie, puisque certaines donnent
naissance aux squelettes de nouveaux jeux. Pour exemple, même si il
date quelque peu, je songe encore à « counter-strike »,
modification du jeu « half-life » et qui existe encore
actuellement sous « counter-strike source ».
Curiosité,
estime et ennui …
Si
l'estime devait simplement se présenter comme la pérennisation d'un
individu au sein d'un univers dans lequel il commence à sentir ses
marques, peut-être pourrions-nous nous pencher sur les rouages
générant la curiosité, donc maintenant l'attrait, chez un joueur.
Ne serait-il pas judicieux de porter notre regard sur cette frontière
se situant légèrement au deçà de ce début d'estime qui pousse le
joueur classique à obtenir les caractéristiques maximales de son
personnage. Quels sont le ou les éléments qui attirent notre
compétiteur ludique ?
Bien
évidemment, on trouve la découverte d'un ensemble estimé
attractif, voire fascinant. Paradoxalement, ce levier me semble être
actuellement le point faible de bon nombre de jeux vidéo actuels. En
effet, la pratique nous montre des structures établies pour des
familles de jeux considérés. Plus grave pour ma part, les
configurations sont structurellement figées. Pour faire très
simple, on s'attend globalement à une nature donnée de
comportements dès que l'on voit un elfe ou un gobelin dans un jeu,
un arsenal et des plateaux fermés donneront d'autres réactions
entre joueurs. En aucun cas, je ne me permettrai de dénigrer le
travail réalisé par des équipes plus que compétentes mais le
reste ne représente qu'un habillage, qui est certes très complexe,
mais qui n'en demeure pas moins fondamentalement technique et qui
répondra à des règles artistiques relatives aux thèmes traités.
Curiosité,
estime et ennui …
Comment
donc conserver cette curiosité, cet attrait durant une plus longue
période ?
Cette
observation que j'assène de par la valeur de mes piètres certitudes
ne me semble pas si anodines ou sotte. C'est en maintenant cette
envie d'aller ailleurs, ce besoin d'aller vers cet inconnu que le jeu
s'étoffera sur l'individu. L'autre direction est pour moi également
valable : Le jeu par ses constantes nouveautés fondamentales
apportera au joueur la découverte de nouveaux horizons. Je me permet
d'insister sur le terme fondamental.
Dans ce
nœud central, une remarque s'impose : Le hasard existe t-il ?
Je ne parle pas de la nature de la quantième bestiole qui se
présente ou des munitions qui se présentent au détour d'un
quelconque couloir. Non, je parle de la substance même d'un jeu qui
intégrerait le hasard sans pour cela écœurer le novice et qui
demeurerait dans un axe de fonctionnement globalement viable. A ce
stade, je dis gentiment à beaucoup que je me refuse d'entrer dans le
cadre de limites techniques. L'être humain est actuellement capable
de recevoir des images de la planète Mars, que l'on ne me dise pas
qu'il n'est pas possible de penser autrement un ensemble
d'instructions que l'on implante ou qui proviennent de machines. De
même, avec tout le mauvais caractère dont je suis capable, je
n'entrerai pas dans les remarques du style « oui, mais nous,
c'est pas la même chose …. ».
A ce
stade, je répondrai par trois mots : Bla, bla, bla.
Par
contre, je suis sans doute un des premiers à percevoir la difficulté
à penser différemment la conception d'un tel logiciel qui
intégrerait une telle structure, surtout dans l'étude de ses
limites car l'objectif serait de préserver cette insatiable envie de
curiosité chez l'utilisateur. Je ne pense pas qu'il existe
actuellement un jeu qui possède cette caractéristique et je demeure
persuadé, en mon for intérieur qu'il s'agit d'une piste qui
pourrait sérieusement apporter une grande valeur ajoutée à un jeu
vidéo.
L'autre
point qui apporterait de la surprise et qui permettrait donc de
conserver cette curiosité indispensable consisterait à établir des
discontinuités, cela indépendamment du hasard cité ci-dessus. Il
faut qu'un jeu vive, présente à l'honneur du joueur de événements
fondamentalement imprévisibles et qui apporte son lot de défi. La
seule et lamentable image qui me vienne à l'esprit est celle de
l'élastique que l'on tend proportionnellement avec une force
croissante. Puis vient l'instant de la rupture. Cette mécanique est
totalement absente de tous les jeux que j'ai pu rencontrer. Autant la
nature de comportement de notre élastique change, autant il serait
bon, je le crois, d'insérer également dans des jeux ces mêmes
rouages de fonctionnement.
Je
terminerai ce propos en m'excusant encore de sa longueur car je ne
suis pas doué pour respecter les règles classiques d'articles
rédigés sur le net. J'insisterai encore sur le fait que l'ensemble
de mes soi-disant raisonnements ne cherchent en aucun cas à attaquer
l'intégrité de quiconque mais tentent de tracer de nouveaux axes
sur nos joujoux technologiques.
En vous remerciant de votre lecture.
Suite au prochain épisode........
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